L'exhibitionnisme est sans doute le qualificatif qui s'accorde le moins bien avec la personnalité de Khalil Chahine, l'un plus discrets et talentueux des compositeurs français. Et le choix de ce titre pour son neuvième album, malgré le sortilège du K, illustre parfaitement ce qu'il pense de cette foire aux vanités qu'est le métier de l'artiste.
C'est au contraire, dans la douceur et l'équilibre que viennent s'installer au creux de nos oreilles les 9 compositions de l'album, qui, sans être en rupture avec ses prédécesseurs nourris d'orchestres symphoniques et de cordes, se distingue à plus d'un titre. Elles sont pourtant là, les cordes, lumineuses et sensibles sous les doigts d'un quatuor formé d'Analuna Chahine, de Christophe Cravero et des frères Brunard, mais ce sont ici les vents qui l'emportent.
Stéphane Chausse, en multi instrumentiste de talent, déploie la majesté de son jeu, qu'il s'empare de la clarinette, de la flûte ou du saxophone, ou encore de l'Ewi, ce « contrôleur à vent électronique ».
Et l'on se surprend dès le premier titre, à être suspendu à la vibration de sa clarinette, à l'unisson d'une mandoline et d'un violon.
Vers le Symorgh, second titre de l'album, quant à lui, illustre parfaitement la personnalité de ce musicien qui, perpétuellement, cherche à comprendre le monde. L'oiseau de la connaissance dans la mythologie perse, qui niche dans l'arbre du savoir, remplace ici le faucon emblématique des précédents albums et met sa bienveillance au service de l'humanité. C'est sans doute le titre le plus « Chahinien » de tout l'album, qui n'est pas sans rappeler un certain « Mektoub » de 1989
« Mescaline », mélopée hypnotique nous plonge dans une mer de sensations d'un passé houleux, comme la guérison bienvenue d'une douleur ancienne.
Khalil retrouve les excellents camarades, Icheme Zouggart à la basse, Mathieu Chazarenc à la batterie et le trompettiste Claude Egea pour une collaboration éclairée.
La surprise vient surtout de « Tranquilla Moça », mouvement tranquille qui évoque l'évidence de l'amour, chantée par le portugais Salvador Sobral, dont la voix, touchant mélange de grâce et d'inspiration, se faufile comme une eau bienfaisante sur les mots de Jenna Thiam, donnant à entendre ce qu'« Écrire avec de l'eau », balade aquatique ou la guitare flirte avec la saturation, sous-entend. Khalil Chahine excelle décidément dans la composition de chansons.
Ce neuvième opus confirme ce qui se joue depuis de nombreuses années, le talent d'un artiste qui ne livre son intimité et son ressenti du monde qu'à travers sa musique. Viktor Lazlo, 25/01/2022